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  • Photo du rédacteurGuy Adrian

Pénurie ?


Le journal Le Progrès a lancé en ce dimanche 24 février un cri d’alarme : «Pénurie de médicaments : comment faire face ?». Selon l’article, en ce début 2019, cette pénurie concerne 577 médicaments, en particulier des anti-infectieux, des médicaments du système nerveux, des anti-cancéreux et des dérivés hormonaux. Comment en est-on arrivé là, alors que la France dans les années 1980 était le 3ème fabricant mondial - et consommateur - de médicaments ?

Et bien parce que, comme pour la majeure partie de nos industries, la production chimique des molécules est à présent effectuée quasi-exclusivement en Chine et en Inde. Ainsi, c’est moins cher, moins risqué et on n’a plus besoin d’ateliers spécialisés de haute technologie ni stockage de matières premières présentant des risques d’utilisation très encadrés (Seveso et réglementation européenne Reach).

Pourquoi est-ce que je veux vous parler de ce problème ? Et bien, toute ma carrière a été consacrée à la production de principes actifs pharmaceutiques et leurs intermédiaires par synthèse au moyen de la Chimie Organique, du Laboratoire jusqu’à la fabrication industrielle dans des usines dédiées, durant 45 ans au total.

Au cours du temps, j’ai vu l’industrie pharmaceutique française passer de la 3ème à la 8-10ème place au niveau de la production. Par contre, les bonnes ventes sont restées, tenez par exemple nous, français, réussissons à gober, par an, 6 milliards de comprimés à activité antipsychotique pour tenter d’adoucir nos misères existentielles. Les causes de notre dégringolade sont multiples : course au profit, investissements insuffisants, lancements de simple copies de médicaments archi-connus, spécialités inutiles ou dangereuses (Médiator), abandon de la Recherche au profit du rachat de licences de produits déjà développés. Pour finir, nos labos se sont fait avaler par des sociétés étrangères désireuses de s’introduire sur le juteux marché français.

Dans cette déroute programmée, la partie conditionnement des médicaments sous forme de comprimés, gélules et sirops a été conservée pour l’essentiel dans l’hexagone, car il fallait bien justifier d’une activité locale pour obtenir un bon prix de remboursement. Mais le principe actif en vrac, lui, on le sous-traite loin... Très loin ! De préférence au milieu de nul part, en Inde ou en Chine, à des coûts de misère. Les rejets, les sous-produits y partent dans la rivière voisine ou dans les champs : sécurité, pollution, on oublie... Pas moi, j’ai vu tout ça là-bas et j’ai vite arrêté car on me demandait de valider des transferts de procédés, évidemment au détriment de la qualité. Bien sûr, les industriels locaux sont malins : en plus des trous d’enfer où ils produisent les composés chimiques dans des conditions qui sont celles du 19ème siècle en Europe, ils ont monté ailleurs des ateliers témoins, des stockages et des labos d’analyses flambant neufs, tout à fait aux standards internationaux. Le brave acheteur étranger venu négocier son approvisionnement en principes actifs va être promené dans ces jolis sites, choyé et il repartira avec son contrat en poche. De toute façon, il n’a pas le choix car pour de nombreuses molécules il n’y a que deux-trois fournisseurs, voire un seul. Si le produit présente une impureté inconnue, on est coincé ; c’est par exemple le cas avec un anti-hypertenseur : le «Valsartan» produit en Chine dans lequel des impuretés cancérogènes ont été détectées récemment. Et il n’y a pas que des problèmes de qualité, la disponibilité fait souci, la preuve en est ces 577 produits concernés qui manquent dans les officines françaises. Les fabricants exotiques n’ont pas d’état d’âme et se soucient comme d’une guigne de la santé des braves français. Ils vendent au plus offrant, pour eux c’est normal et ils ne se gênent pas pour approvisionner également le lucratif marché de la contrefaçon des médicaments ou des copies comme celles du très profitable citrate de sildénafil ou «Viagra» qui représente un marché de 5 milliards d’euros.

Dans un réflexe salutaire, on pourrait dire : «Il faut relocaliser ces productions en France.». Bravo ! Un certain Arnaud Montebourg nous l’avait déjà suggéré il y a 5 ans... Comme c’est loin ! Malgré mon optimisme viscéral, je vous affirme : «Non, on ne peut pas !». En effet, créer sur notre sol un site important de production chimique avec ses installations classées Seveso et ses stockages, c’est au moins 5 ans de délais, d’audits et de luttes avec les défenseurs de l’environnement spécialistes de l’argument NIMBY (oui, mais pas près de chez-moi !). Nous n’avons plus en France les équipements et les sous-traitants nécessaires, ni les compétences (ingénieurs et techniciens), ni les procédés (archives détruites ou inexistantes). Ne comptez surtout pas sur la mémoire des anciens de cette industrie car elle flanche nettement (je parle pour moi).

De toute cette activité de synthèse des médicaments, il ne reste que des souvenirs : par exemple, celui du site chimique de Neuville-sur-Saône, créé après la 2ème guerre par ROUSSEL-UCLAF pour produire des stéroïdes, des antibiotiques et des insecticides. En 1972 à la mort accidentelle de son PDG, Jean-Claude Roussel, le site est devenu HOECHST puis RHÔNE-POULENC puis SANOFI... Puis plus rien. Une partie a été reconvertie en site de production de vaccins, en particulier celui contre la Dengue, pas vraiment un succès ! Les ateliers ont été démantelés et on est en train d’arracher leur sol pour le nettoyer des dernières traces de produits chimiques. Retour à zéro..

A présent, cette pénurie de médicaments inquiète en haut-lieu, en particulier notre cher Sénat à qui rien n’échappe (même pas Benalla). Ils ont fait un rapport qui constate que : «des nombreuses vulnérabilités fragilisent la chaîne du médicament.». Très bien ! La solution proposée est la constitution des stocks de sécurité. Les associations de patients, elles, sont sceptiques (moi aussi). Souvenons-nous des stocks de vaccins contre la grippe de la Ministre Roselyne devenue depuis animatrice télé. Coût : 2 milliards, vaccins détruits car inopérants l’année suivante.

A part ces hypothétiques stocks, il nous restera les médecines naturelles, dites douces dont certains raffolent, par exemple les huiles essentielles bonnes pour tout, des cors aux pieds jusqu’aux cancers et bien sûr, l’homéopathie. Là, comme les pilules sont en pur sucre, avec quasiment rien dedans, on ne devrait pas avoir de pénurie, puisqu’on a la betterave du Nord et la canne à sucre des DOM-TOM. On est parés ! Ah oui, pour votre diabète le sucre n’est pas bon ? Tant pis ! Et pour votre hypertension, ça va marcher ? Pas sûr ! Est-ce qu’au lieu de votre Lexomil quotidien la tisane «pisse-mémé» aux fleurs d’aubépines va calmer vos angoisses ?

Au fait, sans antibiotiques, en cas d’infection grave et de septicémie, comme avant 1945, vous mourrez salement, bêtement... Selon le proverbe : «Comme on fait son lit, on se couche.». Pour attendre la mort?

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