"Ubérisés, pasteurisés"
- Guy Adrian
- 5 janv. 2017
- 3 min de lecture
Pas une journée ne se passe sans que nous n'entendions parler de "l'ubérisation" de la Société. On nous explique que les relations homme-travail et employeurs-travailleurs vont être bouleversés et qu'on va être ubérisés, avec comme sous-entendu : "C'est un progrès et ça va vous faire du bien !". C'est ce qu'on disait, il y a cinquante ans, d'un produit, lorsqu'il était "pasteurisé", donc plus hygiénique et plus sain, mais quand même un peu trafiqué, donc, moins bon.
Qu'est-ce qu'UBER, en fait ? Une société basée en Californie qui, comme tant d'autres, a mis au point un algorithme visant à mettre en relation des clients - usagers de taxis - avec des prestataires disposant de voitures rebaptisées VTC, c'est plus chic. La plate-forme gère le relationnel et les prix. C'est tout, pas de quoi en faire une Nouvelle Révolution Mondiale. En plus, ce modèle économique est médiocre : 60 millions de dollars de C.A. et 5 milliards de pertes cette année.
Ce système et ses conséquences étaient récemment au centre d'une discussion entre une journaliste de LCI et quatre économistes experts. Un reportage expliquant qu'Uber venait de porter à 25% son prélèvement sur les courses, ce qui mettait sur la paille les chauffeurs de VTC, dont l'un d'eux expliquait que sur un trajet Paris-Roissy CDG à 37€ il lui restait, tous frais payés, 7€. L'astuce est que le chauffeur n'est pas employé d'Uber. Fini les relations employeurs-employés salariés, les chauffeurs sont indépendants. On est entré dans le système "donneur d'ordres-esclaves". Bienvenue dans le monde "ubérisé".
Les experts firent remarquer que dans le futur, Uber n'aurait plus à se soucier de chauffeurs humains puisqu'ils utiliseront des véhicules sans chauffeurs, efficaces, propres, silencieux, disponibles 24h/24, sans rouspétance ni blocage des routes... des robots en fait. Une fois mis en place, dans 5 à 10 ans, ils gagneront beaucoup de sous. Nos experts jubilent, mais le journaliste se doit de poser la question fatale : "Oui, mais cela va encore supprimer beaucoup d'emplois, plus de robots veut dire plus de chômeurs !". Tollé des experts unanimes : "Mais non, ça fera disparaître des emplois peu qualifiés (chauffeurs de taxis et de VTC, c'est vous) mais d'autres emplois vont être créés, parce que c'est une loi économique et que ça se passe comme ça depuis 10 000 ans ! (SIC). À la fin du néolithique, il y avait moins de gibier, donc on avait besoin de moins de chasseurs, alors ils sont devenus agriculteurs !
Intervention de Nicolas BOUZOU, un des quatre économistes : "Regardez, aujourd'hui dans les hôpitaux, des robots chirurgiens (VINCI) opèrent partout vite et bien, donc, il y aura moins de chirurgiens. Mais on aura besoin de plus d'infirmières et de personnel qualifié pour les soins et l'accompagnement des malades".
En fait, les robots de service existent déjà dans les hôpitaux aux USA et au Japon, où ils remplacent le personnel soignant humain. Peut-on croire que les gens qui inventent des systèmes capables d'enlever ou de réparer des organes humains, ne sauraient pas aussi mettre au point des robots pour distribuer les médicaments, poser des perfusions, changer des pansements, appeler un taxi et dire au patient : "Au revoir Monsieur Z, bon rétablissement" ?
La naïveté de ces experts est à la fois touchante et glaçante, parce qu'elle montre, de la part de nos élites, une totale déconnexion du monde réel, celui qui est en train de se faire sous leurs yeux.
Imaginons entre-nous le travailleur du futur : il ou elle est chez lui, devant son écran multi-fonctions, 100% connecté, jour et nuit à une plate-forme de services, pour laquelle il est travailleur indépendant, à domicile. Il a faim et son frigo est vide, pas de souci, un drône va lui livrer sur son balcon sa pizza préférée peperoni-mozza avec une canette bien fraîche de soda énergisante. Il a envie d'un petit break : hop, le casque de réalité virtuelle 360 degrés et il entame un petit jeu d'inspiration médiévale où il est un preux chevalier, mais sans belle princesse à délivrer. Pour pallier à ce manque, il a un jouet sexuel interactif très performant. Pour s'endormir, un comprimé de Lexopro, le lendemain matin, pour se relancer, beaucoup de caféine. Il est seul, clean, tranquillisé, pasteurisé, pixellisé, ubérisé.

Comments