Persistance de la mémoire
- Guy Adrian
- 22 nov. 2016
- 5 min de lecture
Je suis en train de m'équiper pour partir en mission avec "Bling-Blang", mon déambulateur préféré qui est équipé d'un GPS, d'une alarme et surtout d'une assistance électrique pour que je ne me fatigue pas trop à le pousser. Nous sommes le 20 mai 2032, c'est un beau dimanche de Printemps, mon robot de service Eddy m'a informé qu'il n'y a pas de risque de pluie et qu'une simple veste me suffirait. Il m'a programmé mon trajet entre la maison de retraite - E.H.P.A.D. des "Bois Jolis" où je réside - et le bureau de vote de la commune. Oui, je vais voter, comme toujours et en particulier tous les cinq ans pour l'élection présidentielle, c'est mon devoir et je suis un bon citoyen !
Pour ce deuxième tour, j'ai le choix entre deux candidats, comme d'habitude depuis trente ans : la chef du parti national d'extrême-droite et le leader de la droite (ou celui de la gauche, c'est une fois sur deux). Cette fois, il est de droite, il a 57 ans et s'appelle Laurent... zut, j'ai oublié son nom de famille... Il faut dire que j'ai 88 ans et si ce n'est pas un Alzheimer bien avancé pour moi, ça doit être le début ! Je me souviens de Laurent, parce que c'était le prénom de mon partenaire de tennis, il y a longtemps, avant que j'ai de l'arthrose partout ! Comme toujours, l'opposante de Laurent appartient à la descendance du menhir breton de 2002 et elle est blonde. Comme s'appelle-t-elle déjà ? Marine ? Non, ça c'était le prénom de ma copine russe, celle aux gros seins, dans les années 2000. Maria ? Non plus, Martine peut-être ? Ah, fichu Alzheimer, c'est pas beau de vieillir ! Enfin, c'est un prénom qui commence par un M et elle a 43 ans, le bel âge pour une femme. Toutes les télés et les journaux disent que Laurent va gagner à 60 contre 40 car comme d'habitude depuis 30 ans, ils ont fait un "front républicain contre l'extrême droite fasciste". C'est n'importe quoi, mais bon !
Ce Laurent est grand, costaud et fait très sérieux, il a plein de bonnes idées. Il dit que lui Président, on aura un Etat fort et prospère. En plus, on sera heureux et en sécurité, terminé les "sauvageons" dans les rues qui piquaient nos sous quand on sortait de la poste. Si l'Etat redevient riche, peut-être qu'il arrêtera, lui aussi, de piquer nos sous avec les impôts et qu'il pensera à nos pensions de vieux qui n'ont pas été augmentées depuis 20 ans !
Bien évidemment, Laurent est un intello brillant : Major de l'Ecole Normale Supérieure, premier à l'agrégation et Major de l'Ecole Nationale d'Administration, notre ENA, celle que le monde entier nous envie ! On a la chance que les "vrais Présidents", ceux de 2002, 2012 et sûrement 2032 soient sortis de notre ENA pour sauver la France qui en a toujours bien besoin, même si le Sauveur n°1 reste notre "Grand Charles", l'homme du 18 juin 1940 ! Ça y est ! Cahin-caha Bling-Blang et moi sommes arrivés au bureau de vote. On m'emmène gentiment à l'isoloir. J'ai sorti ma carte d'électeur, pris deux bulletins, et, le rideau tiré, j'ai introduit laborieusement - à cause de ma tremblote - mon bulletin dans l'urne. A voté ! Une signature et c'est fait. Je suis dehors, il commence à faire chaud et je me dis qu'un petit détour par le Bar-Loto-PMU-Tabac-Presse du village s'impose, histoire de me rafraîchir la glotte. J'y rencontrerai sûrement un ou deux vieux gars pour me faire payer un canon et je risquerai quelques sous au Super-Bingo ou sur un canasson du PMU, ces braves gens qui ont profité de mes subsides pendant 60 ans !
Voilà, je suis dans la bonne direction, mais là, il y a encore des travaux sur le trottoir. Prudence ! Je descends sur la chaussée, mais je n'avais pas vu la grille d'égout. Une roue de mon déambulateur y est coincée. Quel bazar ! Si seulement Eddy le robot était là, il est super-costaud, à lui tout seul, il est capable de porter la mère Suzie pour l'emmener à la douche et elle fait bien 100 kilos. Bon, je me concentre et je tire fort vers l'arrière, ça y est, ah flûte, je bascule sur le dos avec Bling-Blang au dessus de moi. L'alarme se déclenche avec une sirène et une voix qui me dit : "Ne bougez pas, les secours sont prévenus et vont vous prendre en charge dans cinq minutes". Toujours couché sur le dos comme une vieille tortue, je me dis qu'une ambulance va arriver avec des secouristes et la cellule d'aide psychologique. J'en veux pas de ces psychologues ! Moi, ce que je veux, c'est un verre de blanc sec, ça me ferait beaucoup de bien ! Au secours !
Je me réveille en sursaut. Ah quel cauchemar ! Mais non, je suis en novembre 2016, j'ai juste fait un mauvais rêve ! Il faut dire que j'ai trop mangé hier soir. Je n'aurais pas dû reprendre du gratin dauphinois qui était délicieux, ni me resservir du vin rouge et encore moins siroter un verre de "vieil armagnac" pour faire passer tout ça, en écoutant le résultat du premier tour des primaires de la droite. Enfin, bon, là, il est 4 heures du matin, je ne risque pas de me rendormir, car à mon âge, on dort peu. Je vais me faire un café et m'informer. Les résultats de ce premier tour son stupéfiants : l'ancien Président des Gaulois et des mangeurs de jambon-frites est envoyé en retraite auprès de sa grande chanteur ; son "collaborateur" pendant cinq ans triomphe, une voie royale s'offre jusqu'à la Suprême Magistrature ! Pas si certain ! Sur son chemin, à droite se dresse la "Fille à Papa plus chéri du tout", et un peu à gauche, le beau jeune homme aux yeux clairs qui fait avec sa dame la une des magazines people.
Avez-vous remarqué, Chers Amis, que ces trois vrais candidats à l'élection présidentielle du printemps prochain ont un point commun : ils ont brisé leurs chaînes et rejeté leurs maîtres et mentors ! De vrais petits Spartacus ! La dame blonde a remisé son Papa fondateur du Parti dans un placard de Président d'honneur, et encore, parce que la Justice l'y a obligé ! Le Roc sarthois, durant trois ans, a préparé minutieusement sa vengeance contre son ancien patron qui l'avait rabaissé pendant tout le quinquennat. Le beau jeune homme, lui, a carrément été, dans les médias, qualifié de "Brutus" pour avoir "poignardé dans le dos" son mentor, l'actuel Président qui n'aurait pas dû dire ça ! Damned ! Si ce dernier ressemble à Jules César, alors moi, j'ai l'air d'un danseur de tango argentin... D'ailleurs, j'ai lu (chez mon coiffeur) dans "Patch" ou dans "Bloser", une interview de Madame Brigitte qui précisait que son "Manu" était un bon danseur de tango, justement. En plus, ce des trois candidats, il est le seul diplômé de l'ENA (promotion Senghor), et, très souvent nos Président en sont issus : 2002, 2012 et sûrement 2032 puisque je l'ai rêvé. 2007 est une exception, mais 2017 sera-t-elle aussi l'année d'un Président énarque ? Sinon, on pourrait penser que comme les huîtres consommables seulement pendant les "mois en R", ces présidents ne soient élus que les années paires !
Mais ne vous faites pas de soucis, mon rêve prémonitoire de cette nuit l'a révèlé : jusqu'en 2037, vous êtes parés avec des Super-Présidents au pouvoir. Avec, eux, vous allez vous en sortir très bien ! C'est la grâce que je vous souhaite, car je ne serais plus là pour vérifier, vu que je n'ai aucunement l'intention d'aller résider au "Bois Jolis" ni de me balader avec Bling-Blang !

Bon courage à vous tous !
Comments